SAINTE WILGEFORTE
La légende barbue
Il était une sainte à barbe qu’on fêtait jadis le 20 juillet.
Martyre crucifiée – la crucifixion étant un supplice traditionnellement réservé aux hommes – la légende de la vierge Wilgeforte est aujourd’hui tombée dans l’oubli. Depuis son retrait du calendrier liturgique, seule une minorité de fidèles – des fidèles pas forcément très catholiques aux yeux de l’Église – encense encore l’icône barbue. J’en fais partie et lui consacre un chapitre entier de Beau Menteur.
La barbe n’est pas la masculinité. Elle n’en est que l’emblème.*
Ce n’est pas le caractère religieux mais le rôle des apparences qui m’importe dans cette légende de sainte Wilgeforte. Châtiée pour avoir eu une barbe – octroyée par Dieu dans le but de dissuader les assauts sexuels, exauçant ainsi son vœu de chasteté – la légende de cette sainte donne à réfléchir sur ce qu’est le genre, en fonction d’un lieu et d’une époque donnée.
La représentation du Christ à l’orientale, qui portait une tunique – interprétée par les occidentaux comme étant une robe, donc typiquement féminin – a fait que les fidèles se sont dit : tiens, voilà une femme à barbe crucifiée. Pourtant, il s’agissait bien du Christ ! Mais ils ont tellement vu la robe qu’ils en ont oublié de voir le Christ sous la robe. Comme d’autres, lorsqu’elle elle porte une barbe, voient tellement la barbe qu’ils en oublient de voir la femme derrière la barbe. Sa crucifixion marque le poids des apparences dans sa légende : barbe et robe y jouent en effet des rôles symétriques jusqu’à mettre en abyme les questions de genre. Comme un fil rouge en regard – et sous le regard – du personnage de Beau Menteur.
* Formule du sociologue Éric Fassin, spécialiste des questions de genre et de sexualités.