À LA RECHERCHE DES PISSOTIÈRES

série Les Tasses

Proust aux tasses

Après tout, si la fonction naturelle du cabinet est pervertie,
pourquoi le plaisir qui s’y prend ne le serait-il pas aussi ?
Philippe Boyer, « Le petit pan de mur jaune », 1987.

Repoussant pour les uns et jouissif pour les autres, l’ouvrage aux 3000 pages de Marcel Proust recèle de petits coins détournés de leur fonction initiale. Plongé dans l’histoire interlope des pissotières de Paris, j’ai rassemblé les traces que l’auteur y a laissées. Elles m’ont inspiré ces collages numériques en tryptique.

Dans le jargon des Années folles, les mots « tasse » et « théière » désignaient une pissotière où les hommes à la recherche d’autres hommes se rencontraient secrètement. L’expression « prendre le thé » signifiait alors copuler ; notamment entre homosexuels, précise un dictionnaire d’argot. Dès lors, comment savoir si, dans les tasses (sous-entendu toilettes publiques), les hommes faisaient ce qu’ils « auraient dû faire » ou s’ils entraient là pour prendre le thé ? Allusion aux salons pour hommes – façon boudoir ammoniaqué – propices à déballer son intimité aux voisins de stalle en toute impunité.
Marcel Proust n’était pas à l’aise avec ses propres penchants. En effet, à l’époque, s’afficher aurait entaché sa réputation mondaine et peut-être condamné l’écrivain à ne pas être amplement publié. Néanmoins, il aurait eu moins de gêne à vivre son homosexualité en privé qu’à l’écrire publiquement. Le lien entre la vie privée de Proust (dans le placard), et la tasse (lieu public abritant le secret de ceux qui s’adonnaient aux plaisirs défendus), se tisse donc là.

Comment ?! L’auteur le plus élégant de la littérature française, le dandy le plus délicat de notre langue aurait été un amateur de ces lieux sordides, de ces relents d’urine et de ces attouchements furtifs ? Sacrilège ! Et pourtant, Marcel Proust dont l’attirance pour les bordels masculins n’est plus vraiment un secret, semble bien, si on décrypte son œuvre entre les lignes, avoir fréquenté également les fameuses « tasses », ces précieux édicules.

Proust aux tasses, Marc Martin (Collages numériques, 2020).

Marc Martin, « Proust aux tasses » (32 pages) ©Agua, 2020.
Un essai, illustré de 3 collages numériques inédits, qui s’appuie principalement sur la thèse de Jarrod Hayes, « Proust in the Tearoom » (1995) et sur « Les sept chalets de nécessité », chapitre du livre de Philippe Boyer, « Le petit pan de mur jaune » (1987). « Proust aux tasses » s’inscrit dans une série limitée de feuillets en complément de l’ouvrage Marc Martin, « Les tasses, Toilettes publiques – Affaires privées » © Agua, 2019.

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