ÉCHAPPÉES BELLES
Anonymes
Du lien que je tisse entre les documents d’archives et mes propres créations, une trajectoire originale s’offre à cette série de clichés anonymes. Parce que la photographie amateur laisse des traces d’authenticité, cette succession d’images inconnues, comme échappées belles des vieux albums de famille, forme un corpus insolite – vespasiennement parlant.
Différentes en leurs textures, leurs tailles, leurs provenances et leurs époques, fortes de flous, de rayures et du temps passé, elles s’unissent en dilettantes. Elles racontent une histoire populaire. Ces archives illustrent l’implicite altérité. Elles livrent des indices identitaires, révèlent des secrets, se jouent de l’espace public et pointent l’émergence de voix tues.
Devant ces photographies amateur, chinées sur une dizaine d’années, je m’efface. Je ne les date pas, ne les commente pas. L’héritage, seul, remplit le cadre et l’intention de sa composition. C’est cette démarche qui fait œuvre : réunir ces photos orphelines pour susciter un décalage du regard. La mise en espace est sobre, pleine de blancheur. La résonance avec l’ensemble de ma démarche se lit alors en filigrane comme une quête de racines.
On a souvent reproché aux hommes qui fréquentaient les pissotières d’être lâches, qualifié de sordides leurs rencontres en ces lieux publics. Or, n’ont-ils pas osé, en milieu hostile à la diversité, braver les interdits ? N’ont-ils pas, pendant plus d’un siècle, osé affronter des plaisirs défendus par la loi ? J’aimerais qu’on reconnaisse à ces hommes un certain courage. Je voudrais rendre à ces endroits, qui ont abrité tant de frissons, leur part troublante de sensualité.
Dans les pays où l’homosexualité reste condamnée par la loi, les toilettes publiques, lieux de passages anonymes et gratuits, gardent leur fonction de repaire clandestin.