L’AUTRE LANGUE DES SIGNES
De mains en mains
Souffrant de surdité, j’attache aux mains une attention qui flirte avec le fétichisme : l’individu peut libérer dans une gestuelle faite de rituels une grande place à l’imaginaire. Un cadrage serré permet, en isolant les mains, de les marginaliser dans les gestes les plus simples du quotidien. Elles fourmillent alors d’indices et constituent un langage non-verbal. De mon point de vue, le motif des mains recense l’expression même du désir. Un désir d’altérité qui circulerait, comme sur un fil, de mains en mains.
« Il parait que ça rend sourd ! »
Il n’y a pas de remède pour lutter contre les symptômes de la maladie de Ménière. Elle m’accompagne depuis des années. Je souffre de vertiges plus ou moins récurrents et d’acouphènes en permanence. Totalement sourd de l’oreille droite, j’ai longtemps compensé avec celle de gauche. Et ce léger handicap faisait partie de moi. Mon audition baissait petit à petit, je m’en accommodais.
Jusqu’au jour où la pandémie sanitaire a changé la donne. Avec le port du masque, je me suis rendu compte qu’inconsciemment je lisais beaucoup sur les lèvres. Il m’est de plus en plus difficile de discerner les voix des bruits ambiants et donc de pouvoir communiquer « normalement ». Ces derniers mois, ma surdité s’est encore dégradée : des crises de vertige m’ont totalement fait perdre l’équilibre. J’ai vécu comme dans une zone de turbulence. À cause d’une brusque chute de l’audition, j’ai perdu tous mes repères dans l’espace. J’ai marché sur les mains. Après une récente batterie d’examens, des spécialistes présagent – à plus ou moins court terme – une surdité complète. J’ai d’abord compté tout ce que j’allais perdre, je profite aujourd’hui de tout ce qui reste.
Je vais apprendre la langue des signes et explorer de nouvelles aventures, y compris artistiques. Face au sentiment de perte inéluctable – qui circulait peut-être déjà dans l’ensemble de mon travail – je me découvre avec humilité à travers cette série. Elle se composera aussi de photos d’autrui. J’espère exposer « De mains en mains » prochainement, accompagné d’une œuvre sonore inédite : “Quand vous serez vieux, vous n’entendrez pas tout le mal qu’on dit sur vous !”