L’OMBRE DE FASSBINDER ET JEAN GENET
AUTOUR DE TOMBER DES NU(e)S
Celui qui passe
Il faut garder en mémoire nos rêves, avec la rigueur du marin qui garde l’oeil rivé sur les étoiles. Ensuite, il faut consacrer chaque heure de sa vie à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour s’en approcher, car rien n’est pire que la résignation.
Gilbert Sinoué, Le livre de saphir, 1996.
À quoi rêvent les jeunes hommes qui ne font que passer ? On ne saura pas, et tant mieux. Connaître la réponse, c’est prendre le risque d’étrangler notre rêve à nous.
Un mystère, donc, le marin – planqué sous l’uniforme, écrasé par des siècles de projections érotiques, et puis bien sûr, toujours sur le départ. Le marin est un homme venu du monde des hommes et qui retourne à la mer. Il n’est pas là. Quand il s’incarne dans la chair, c’est pour mieux nous couler entre les doigts. Cette esquive nous agace et nous comble : un marin, c’est l’assurance de chavirer sans se noyer. Mieux encore, c’est l’assurance d’une sexualité sans conséquences, qui ne laisse pas de traces et qui ne rend de comptes à personne – ni aux lois sociales, ni aux lois conjugales. La liberté du marin garantit la nôtre. Parce qu’on peut tout lui raconter et presque tout lui faire subir, il fonctionne comme une soupape, mais aussi comme un oracle – révélateur de notre vraie nature. (Si nous la cachons, c’est pour une bonne raison).
Homme de petite vertu, gaillard, facile, il éponge nos secrets. C’est peut-être dur à porter. C’est peut-être un tout petit peu sacrificiel.
On ne saura pas.
On ne lui posera pas la question.
Le jeune homme ne fait que passer.
[ Maïa Mazaurette ] Texte extrait de Tomber des nu(e)s.
La figure du marin à voile et à vapeur convoque son cortège de rêveries. Tomber des nu(e)s invite l’artiste plasticienne Zoé Bernardi à prêter main forte à la légende : elle offre dans Beau geste une vue imprenable sur son sein et s’offre au mousse dans un décor digne des peintures d’Alfred Courmes. Les deux amants qui se lovent à merveille sur les marches de l’école des Beaux-Arts déjouent les jeux de rôles tout tracés. L’image du mousse solitaire et célibataire, elle, ne tangue pas.
L’habit du marin est le seul uniforme que Marc Martin fera endosser à Mathis Chevalier. Mais ce dernier l’enfilera plusieurs fois, à différents endroits de l’ouvrage, comme autant d’escales. Moins comme une rengaine empruntée au vestiaire homoérotique (Jean Cocteau, Jean-Paul Gaultier et Pierre et Gilles l’ont déjà bien exploré) que vers l’imaginaire fantasmagorique qu’il véhicule. Comme Pierre Loti ou Blaise Cendras bourlingueraient vers les docks et les quartiers louches. Une figure que Picasso a souvent conviée dans son Bordel d’Avignon. À l’époque, sur la terre ferme, les relations entre hommes pouvaient conduire tout droit en prison. L’ombre de Fassbinder et de Jean Genet plane aussi sur le moussaillon de Marc Martin. Le motif du bordel à l’ancienne se loge dans La Féria de Madame Lysiane en référence à Querelle36. Le motif du trou37, indiscret orifice minutieusement perforé entre deux cloisons, symbole du voyeurisme cher au photographe, s’instaure dans un jeu de regards. Tel est le marin pris qui croyait prendre. Maïa Mazaurette, dans les mains du marin, s’en donne à cœur joie : Celui qui passe.
Séries photographiques autour de tomber des nu(e)s. Modèle Mathis Chevalier.
Formats variables. Jet d’encre pigmentaire sur Hahnemühle Rag Baryta 315g. Tirages limités à 5 exemplaires / photographie.
Marc Martin, La Féria (de Madame Lysiane), Le Havre, 2023. Marc Martin, Celui qui passe, Toulon-sur-Arroux, 2023. Marc Martin, Pêcheur de Lune, Paris, 2023.
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