L’AUTRE RIVE DE NARCISSE

TOMBER DES NU(E)S

Sehnsucht

En ces temps où la question planétaire est si préoccupante, poser nu dans la campagne est parlant. Dans Sehnsucht, la sensualité du personnage se fond dans la nature. La petitesse de l’homme y est frappante. Pourtant le corps musculeux de Mathis Chevalier n’est pas frêle. Mais la Nature prend le dessus. Et Narcisse, qu’il incarne ici, n’ose plus se mirer dans l’eau. Métaphore d’une génération qui se noie dans le culte de l’apparence et dans les dérives de la culture numérique, son regard perdu semble interroger notre époque égocentrique et la perpétuelle représentation de soi. En regard de ce diptyque imbibé de romantisme allemand, l’historien de l’Art Claude-Hubert Tatot trempe sa plume.

La dégaine chaloupée, félin, presque chancelant, que fait Mathis Chevalier botté nu dans la campagne ? Ses bottes vert bouteille, attribut des travailleurs que Marc Martin aime photographier, donnent l’illusion de pattes. Mathis pourrait alors faire le faune, comme ceux qui, chez Poussin, vont mater les nymphes au sommeil trouble pour se repaitre de leur sensualité. Voir, voilà tout l’enjeu.

Que ce grand nu debout s’accroupisse au bord d’un étang et nous le voyons qui se regarde. Il fait Narcisse plus que Satyre. Qu’il se mire à la surface de l’eau ou dans le reflet des écrans, cette figure parle toujours d’image. Alors qu’il aurait toutes raisons de s’admirer, Mathis semble douter malgré sa puissance. Cette sensualité inquiète évoque le Narcisse du Caravage.

Les bottes sombres font comme flotter le reste du corps si blanc. Et si ses pieds étaient sabots ? Ses jambes, pattes ? Et si Mathis Chevalier faisait Actéon ? Il serait encore question de regard. Ce chasseur puni par Diane pour l’avoir épiée nue fut transformé en cerf et dévoré par ses chiens. C’est en voyant dans une flaque sa tête flanquée de bois qu’il comprit sa métamorphose. Ne voir que le personnage serait négliger l’importance du paysage. Comme Kupka qui agenouille un homme devant un étang où se reflète une imposante montagne, Marc Martin croise introspection et fusion avec la nature. L’ambiance bleutée, brumeuse et crépusculaire fait tendre ces photographies vers le romantisme allemand et ses rebonds symbolistes, dont la série tire son titre : Sehnsucht. Mais si la peinture était une fausse piste ? Ce corps laiteux et musculeux est taillé comme un marbre. Pensons au Penseur de Rodin, ou au Torse du Belvédère tant admiré
par Michel-Ange.

Claude-Hubert Tatot
Texte extrait de Tomber des nu(e)s.

Marc Martin, Sehnsucht (l’autre rive de Narcisse), Toulon-sur-Arroux, 2023.

Série photographique issue de Tomber des nu(e)s. Modèle Mathis Chevalier.
Marc Martin, Sehnsucht (l’autre rive de Narcisse), Diptyque. 840 x 690 mm + 690 x 930 mm.
Encre pigmentaire, Hahnemühle Photo Rag 308g. Encadrement Ets Longueville, Paris.
Tirages limités à 5 exemplaires / photographie.
Contact@galerie-obsession.com

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