ENTRE L’ESPACE PRIVE ET PUBLIC

MAUVAISES VIES ?

Indices cryptés

“Faire du privé quelque chose de public est un acte qui a d’innombrables ramifications”
David Wojnarowicz (1954 – 1992)

Dans ma chambre de gosse, les indices cryptés étaient nombreux. À un âge où la compréhension du monde commence par celle de sa propre identité, ces “petites tactiques de l’habitat” – pour citer Michel Foucault – sont un peu comme des tatouages sur la peau : les éléments de ma chambre témoignent sans regrets du petit garçon et de l’ado que j’ai été. Le poster de Dalida placardé au-dessus de mon lit n’y est plus. Mais j’ai retrouvé, pleine de poussière, la cassette VHS du musical de Jacques Demy inspiré du conte de Perrault. Le film s’achève sur ces vers : « Le conte de Peau d’Âne est difficile à croire, mais tant que dans le monde on aura des enfants, des mères et des mères-grands, on en gardera la mémoire. »

« Au commencement, il y a l’injure » écrit Didier Eribon en ouverture de ses Réflexions sur la question gay. Celle qui façonne notre subjectivité, le traumatisme à l’origine de la honte, de la crainte, de la timidité. Il ne s’agit pas de dire que l’expérience de l’homosexualité est universelle. Malgré tout, si chaque individu possède une histoire singulière, subjective, il s’inscrit toutefois dans un collectif constitué d’« autres » qui sont, comme lui, stigmatisés pour les mêmes raisons et qui sont d’autant d’expériences communes.

Que signifie, alors, grandir en tant que jeune gay, que ce soit dans les années 1970 ou dans les années 2000 ? Une fois devenu·es adultes, que reste-t-il de l’injure ? Comment parvient-on à faire tourner le vent mauvais ?

Enfant, je chérissais mon allure efféminée. Je jouais avec les filles, et si on m’appelait « fillette », j’étais d’accord avec ça. L’envie de raconter des histoires arrive très tôt. J’organise des spectacles dans ma chambre. Mes personnages sont non genrés. J’incarne un funambule en tutu rose les bras flottant bien que mal sur la rampe d’escalier. En primaire, je tente – en vain – de rentrer dans le moule. On me traite de pédé dans la cour d’école. Je ne comprends pas : je suis fou amoureux de Delphine Seyring en Fée des lilas et de Catherine Deneuve la Reine bleue dans Peau d’âne… Et les footballeurs ne m’intéressent pas.

C’est à ce moment-là que le fossé se creuse entre l’espace privé et l’espace public. Entre le monde des adultes (celui des parents aussi) et mon monde à moi. Un monde qui m’appartient. J’entre au collège et je ferme la porte de ma chambre derrière moi. Pour y retrouver mes illusions en rentrant à la maison. Pour me protéger du regard de ceux qui ne comprennent pas. L’injonction à une certaine virilité peut être violente pour les jeunes garçons à la masculinité marginalisée. Chez moi, il a suffi d’une porte, ouverte à celles et ceux qui m’aimaient.

La scénographie de Mauvaises Vies ? reconstitue la chambre d’ado et la salle à manger familiale qui construisent et déconstruisent les rêves d’enfant.

Mauvaises Vies ? Installations à LaVallée-Bruxelles (Marc Martin, 2025).
Scénographie Tanguy Thirion.

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