JONA, RIEN DE MOINS, RIEN DE PLUS

SO WHAT?!

Johann Trollmann

La salle de boxe où s’entraine Jona, dans la Bergmanstrasse à Berlin-Kreuzberg, est chargée d’histoire. Elle porte le nom de Johann Trollmann, un boxeur tzigane allemand qui a été déporté et assassiné par les nazis. J’ai rendez-vous avec Jona. En arrivant à la salle, la plaque commémorative me rappelle cet article d’Annabelle Georgen dans Les Inrockuptibles, grâce auquel j’avais découvert à Paris l’existence de ce héros de la résistance outre-Rhin : « Johann Trollmann, le boxeur tzigane qui ridiculisa les nazis ».

Dans les Années Folles, Trollmann – surnommé « Rukeli le Gypsy » – était la coqueluche des supporters allemands. Autant pour son regard magnétique et ses boucles brunes que pour son jeu de jambes hors pair. On disait de lui qu’il ne se battait pas mais qu’il dansait sur le ring. Mais, dès 1933, les prouesses et le charisme du jeune boxeur ne furent plus du goût de l’Association des boxeurs allemands, déjà infestée par les nazis. Elle lui retira son titre de champion d’Allemagne poids mi-lourds sous prétexte que son jeu de jambes était « non aryen » et son tournoiement « tzigane ». Quelques semaines plus tard, Johann Trollmann remonta sur le ring dans un accoutrement qui stupéfia son adversaire et les nombreux soutiens d’Hitler présents dans la salle. Les cheveux teints en blond, le visage poudré de farine, « Rukeli » se moqua ouvertement des théories racistes des nazis en singeant l’archétype de l’athlète aryen tant vanté par la propagande hitlérienne. Il resta immobile durant tout le combat, renonçant à son allonge et à son jeu de jambes légendaire, puisque l’Association des boxeurs allemands l’avait sommé de changer son style de combat. Il fut donc mis KO au cinquième round. Étendu sur le ring, le visage en sang, Trollmann venait d’accomplir un acte de résistance unique dans l’histoire du sport allemand et de renoncer symboliquement à une carrière sportive, à ces JO qui auraient lieu dans trois ans à Berlin et auxquels cette Allemagne ne le laisserait de toute façon jamais participer.*

Le régime nazi l’a exclu de la boxe professionnelle. Stérilisé de force. Envoyé sur le front de l’Est. Interné en camp de concentration. Et assassiné en 1944. Les fleurs fanées sur la plaque commémorative apposée, tout près du lieu où Trollmann a décroché son titre de champion d’Allemagne, m’ont frappé. Dans cette salle, restée dans son jus, mes photographies se sont attachées aux traces du temps. Comme pour faire dialoguer ce lieu imbibé du passé avec Jona James, jeune homme bien ancré dans son époque. Hier comme aujourd’hui, montrer la boxe comme acte de lutte pour les droits de l’homme. Et contre la bêtise et l’intolérance.

Fragments de l’exposition SO WHAT?! à EisenHerz – Berlin (Marc Martin, 2024). Johann Trollmann © Hans Firzlaff.

Série photographique autour de SO WHAT ?! Modèle Jona James.
Formats variables. Jet d’encre pigmentaire sur Hahnemühle Rag Baryta 315g. Tirages limités à 5 exemplaires / photographie.

Autres séries issues de SO WHAT?!

COMMANDER