JONA, RIEN DE MOINS, RIEN DE PLUS

SO WHAT ?!

Bad Boy

En avançant dans ma transition, j’avais de plus en plus peur de finir par devenir invisible, confie Jona James. Comme si elle allait me rendre moins queer, m’adapter à la norme. J’avais peur de mes propres motivations. Aujourd’hui, je suis fier d’avoir gardé mes cicatrices visibles. C’est moi qui ai choisi un mode opératoire qui laisse des traces. Je savais déjà à l’époque qu’il y aurait des jours où je serais fier d’elles et d’autres où je voudrais qu’elles soient invisibles. Tout se passe comme je l’avais prévu. A travers mes cicatrices, c’est moi qui suis visible. Même quand ça veut dire qu’elles m’exposent aux attaquent et me révèlent comme je suis. Mais je n’ai rien à cacher.

Pour moi, ce corps a toujours été le mien, sauf qu’à la puberté, il s’est transformé dans une direction avec laquelle je n’étais pas d’accord…

Je pense que les mots jouent un rôle crucial pour les personnes trans : le choix du bon pronom, le choix de son propre nom et la possibilité de parler de leur corps comme elles l’entendent. Demande-moi quels mots je choisis pour parler de mon corps ! Ça, c’est sexy ! C’est respectueux. 

Il y a des fois où j’hésite sur la manière de décrire ce corps. D’après ses fonctions ? Mon cul, c’est mon cul. Je dis toujours « poitrine » et pas « seins », même si là-dessus, j’ai tranché dans le vif. Ce corps est bottom, il a une bouche et deux trous, et peut-être aussi une bite. La prise de testostérone fait grossir le clitoris, dans des dimensions qui varient d’une personne à l’autre. Ça donne un genre de micropénis hyper mignon. L’idée que ce n’est pas mon corps, que je suis né dans le mauvais corps. Je pense que c’est un narratif qui a été imaginé pour permettre aux autres de comprendre la situation. Pour moi, ce corps a toujours été le mien, sauf qu’à la puberté, il s’est transformé dans une direction avec laquelle je n’étais pas d’accord. Maintenant, je renverse la vapeur et je me retransforme jusqu’au point où je pourrai dire que je me (re)connais.

Beaucoup de gens essayent de représenter les personnes trans comme confuses, désarmées, cassées, comme s’il fallait les réparer. Mais on ne peut pas réparer quelque chose qui n’a jamais été cassé. Je ne suis pas cassé et réparer ne signifie pas se rapprocher le plus possible du standard qui classifie l’humanité entre deux sexes. (R)entrer dans le moule au forceps à force de « générosité », se fondre dans la masse pour que personne ne se rende compte que tous les sexes sont inventés ? Très peu pour moi ! Elle est pour moi, ma transition, et pour personne d’autre. Pas pour ma famille, pas pour mon partenaire, pas pour le reste du monde. Et c’est pour ça que c’est moi qui choisis ce qu’on fait, ce qui marche, et jusqu’où ça va.

A travers mes cicatrices, c’est moi qui suis visible…

J’ai 26 ans et mon expérience de la vie est déjà bien complète ! J’ai vécu le sexisme, quand on vous exclut et ne vous prend pas au sérieux parce qu’on vous a confiné à un rôle de fille. J’ai vécu la peur que ressentent les femmes quand on marche derrière elles le soir. J’en suis désolé et je voudrais crier : « J’ai aussi peur que toi ! ». Nous sommes dans le même camp, je ressens ta douleur.

Et puis cette souffrance quand on devient invisible. Certains pensent qu’en tant qu’homme, je ne connais rien, je ne comprends rien à plein de sujets. « Mon corps, mes règles » et émancipation, mais seulement pour les femmes. Pour les femmes cis. Et moi je suis là et je sais ce que ça fait d’avoir ses règles, j’ai déjà pris la pilule du lendemain, je me demande ce qui se passera si un jour j’ai besoin d’avorter. Il m’est arrivé que les gens soient mal à l’aise face à ma différence. Ce malaise se transforme en colère et cela leur fait souvent imaginer qu’ils ont le droit de me disséquer jusqu’à ce que leur malaise disparaisse. Ceux qui sont différents doivent s’expliquer. Ceux qui sont différents doivent justifier leur existence et espérer qu’on leur accordera l’autorisation de le rester, différent.

Bad Boy (Marc Martin, 2024).

Série photographique issue de SO WHAT ?! Modèle Jona James.
Formats variables. Jet d’encre pigmentaire sur Hahnemühle Rag Baryta 315g. Tirages limités à 5 exemplaires / photographie.

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