L’ÉROTISME EN HÉRITAGE
Une chambre à soi
L’exotisme qui émane de certaines de mes photographies renvoie au cœur des polémiques relatives à la notion d’appropriation culturelle… Je n’aime pas cette expression quand on la sort de son contexte sociologique de transmission ou d’évolution des cultures. Ces polémiques sous-entendent que les cultures sont des entités « pures », figées dans le temps et l’espace, et vierges de tout apport exogène ; des groupes homogènes incapables de jeter des ponts vers les ailleurs, de les admirer au point de s’en inspirer et de les inspirer en retour. Je n’aime pas plus l’idée que l’on se dégrade en s’inspirant de l’Autre que le procès d’intention qui voudrait faire accroire que s’inspirer signifie piller. S’inspirer, pour moi, c’est rendre hommage. C’est s’enrichir de l’apport de l’Autre. Et où fixer les frontières qui détermineraient le périmètre d’inspiration légitime ?
À quelle distance de mon clocher commencerait la zone taboue à laquelle je n’aurais pas accès ? L’Histoire abonde en injustices et en pillages ; acceptons-le et réparons ce qui peut l’être. Pour ma part, j’apprécie l’enrichissement et l’hommage plus que la recherche de victimes ou de coupables. J’admire Benjamin, tout en virilité nonchalante, fier de ses origines polonaises, tziganes et kabyles, et fier de toutes ses ambiguïtés. Mais je suis perplexe face à une époque qui reprocherait à mon Beau Menteur son « orientalité » et son jeu aux frontières des genres. Oui, mes images prennent le contrepied du fantasme du Levant : les tableaux orientalistes représentaient souvent les femmes alanguies dans un espace clos, parées de bijoux précieux et de soie vaporeuse. Par inversion du genre, Beau Menteur, lascif en déshabillé de satin, oscille entre la luxure du bain turc et la moiteur du hammam. Les atmosphères feutrées des peintures de Delacroix leur donnaient déjà explicitement une touche érotique. Elles ont fait scandale parce qu’elles exprimaient son émerveillement pour l’Afrique du Nord en dehors de tout alibi mythologique. Le ressenti de l’artiste a été un moyen de contourner les interdits d’une époque corsetée dans ses mœurs. Pour moi, cet hommage s’apparente bien à de l’enrichissement.
L’esthétique Berbère de mon Gardeur des Troupeaux (fig.1) est un clin d’œil à Pessoa ; elle répond au Petit poème d’intérieur (fig.2) inspiré à Baudelaire par l’orientalisme de Delacroix et ricoche avec Une chambre à soi (fig.3) sur le turban d’Alice Sapritch. En voilà une circulation culturelle qui tourbillonne dans tous les sens.