LA MAISON NE FAIT PAS CRÉDIT
Merci Monsieur
« Mon lavatory sert de lieu de rendez-vous […] mais les ordres sont formels : interdiction de stationner ! » Nous sommes en 1980, elles sont une cinquantaine de « Dames Pipi » dans les entrailles de Paris. Certaines officient à l’entrée des stations de métro, d’autres dans les couloirs du RER et en sous-sols des gares. Pour Libération, François Devinat rencontre alors ces femmes cachées de la capitale. “Entre l’écoulement de fluides sur des rangées de faïence blafarde, il y a le bruit sec des pièces de monnaie lâchées à contre cœur dans une sous-tasse”.
Je me suis nourri de cet article pour imaginer ma série. Dans le cadre Art nouveau des anciennes toilettes de la station Palais-Royal, Merci Monsieur met en scène une rencontre clandestine sous l’œil d’une préposée. Revêtement d’acajou, étagère bien cirée, poster d’un chanteur populaire, et écriteau « la maison ne fait pas crédit ». Voilà le décor reconstitué de cette femme de ménage pas comme les autres. Depuis sa loge, l’objectif fixe un double point de vue : la perspective sur une rangée de cabines et une vue plongeante sur les urinoirs. Rien du remue-ménage qui s’opère dans son établissement ne lui échappe : “des voyeurs, j’en ai vus… J’en ai même vu un rester debout sans bouger pendant des heures… C’est simple, mon lavatory leur sert de lieu de rendez-vous… Mais les ordres sont formels : interdiction de stationner”
Un Berlioz*– pourboire glissé discrètement sous la coupelle – et l’abondance de cartes postales épinglées derrière la vitre pointent une connivence occasionnelle entre la gardienne immobile et les hommes qui passent. Cette tolérance présumée fait-elle de la gardienne une implicite mère maquerelle ? Les deux hommes incarnent-ils les rapports intergénérationnels ou le rituel des services tarifés ? Les jeux de regards livrent des éléments de réponse.
* Le Berlioz, billet de banque et 10 francs émis de 1974 à 1980, illustre une époque où, en France, l’homosexualité tombait encore sous le coup de la loi.